Pour n’importe quel Montréalais sain d’esprit, l’ouverture des centres de jardin, les fleurs suspendues devant les dépanneurs de quartier et le grand ménage du printemps sont synonymes de temps chaud, de bière et de sangria. Pas pour moi, la folle, qui angoisse déjà à l’idée des corvées qui m’attendent : le désherbage, l’étalement du fumier de mouton composté et de l’engrais azoté granulé, le taillage de ma haie de cèdres (oublie pas, pas avant le mois de mai, pas après juillet), la peinture de ma clôture qui n’en finit plus de finir, l’arrosage « timé » des différentes sections de ma pelouse, les dizaines d’appels à des contracteurs pas fiables, les heures passées sur Internet à comparer les modules de jeux extérieurs, les piscines gonflables et les carrés de sable...
J’étais bien moi cet hiver, cloîtrée dans ma maison avec les volets fermés. Tout le monde hibernait et je n’étais au courant des projets de personne. Mais avec la belle température, ils sont tous dehors à gratter et à remplir leurs sacs de montagnes de feuilles mortes et de mauvaises herbes, à mesurer et à tirer des plans, question de me mettre de la pression et de me rappeler que je n’ai encore rien commencé et que je suis mal organisée. Et si j’ai le malheur de repérer quelqu’un dans le quartier en train de power-washer son entrée de garage ou de discuter avec un gars bedonnant en T-shirt gris et en bottes de construction, je sens que je devrais moi aussi être en train de faire quelque chose ! Je suis incapable de relaxer dans ma cours sans passer en revue tout ce qui cloche sur mon terrain et faire l'inventaire des travaux effectués par mes voisins et que nous devrions nous aussi, nécessairement entreprendre.
Quelle idée saugrenue d’avoir acheté une maison ! Moi qui ai toujours rêvé de vivre à New York ou d’un loft avec terrasse dans le vieux Montréal... Pas de passer mes weekends à obsséder sur un gazon qui ne pousse pas, décaper des soffites décrépis et contempler du mortier qui s’effrite ! Mais j’étais tannée de me faire marcher sur la tête. Je le voulais mon petit oasis urbain pour siroter mon thé glacé assise sous le tilleul et jouer au ballon pieds nus dans l’herbe avec mes enfants...
En fait, ce billet aurait pu s’intituler Incapacité chronique à assumer ses choix. Je n’aime pas et je n’aimerai jamais jardiner, entretenir, rénover etc. Cela a été statué à maintes reprises. Alors pourquoi ne pas l’accepter plutôt que de continuer à m’imposer tout ça ? Pourquoi ne pas profiter de ma propriété tout simplement, en me disant que j’ai toute la vie devant moi pour l’embellir ? Mon chum lui, ne ressent aucune culpabilité. Il est parfaitement heureux de boire sa Heineken évaché dans une chaise de jardin sale, au beau milieu d’un champ de pisenlis. Pourquoi ne pas adopter moi aussi cette attitude zen ? Seigneur, plutôt mourir !
Tout ça me déçoit beaucoup. J’aurais espéré qu’avec le marathon de travaux que je me suis tapé l’été dernier (et l'écoeurantite aiguë qui en a résultée), j’aurais appris quelque chose. Apparemment pas. Je me vois aller encore cette année, je fatigue, je surveille mes voisins, je fais des listes... Peut-être que j’ai besoin d’un électrochoc, de poser un geste drastique, question de mettre fin une fois pour toutes à ce délire ? En fait, j’avais pensé m’asseoir au milieu de mon jardin en friche comme un bouda, me rouler un petit morceau de tourbe, le remplir de fumier de crevette Premier Bio Max et le fumer. Je suis certaine que mes voisins, que j'adore et qui ignorent tout de ma psychose estivale, trouveraient ça fantastique et s’en rouleraient un eux aussi !
J'aimerais ben ça avoir une piscine, mais pour ça, il me faudrait aussi une maison, un terrain, un char, une famille, etc... Fait que j'endure mon pittoresque Hochelag' du haut de mon 5-et-demi dans un 3e étage semi-climatisé (personne ne me marche sur la tête, heureusement).
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